Ainsi la Vie serait difficile… croyons-nous ?
par Jacques Salomé – psychosociologue et écrivain.
(paru dans Recto-Verseau 242 – juillet 2013)
J’entends dire, très souvent, que la vie est difficile, qu’elle est dure, impitoyable, qu’elle ne fait pas de cadeaux… Il y a ainsi, tout un ensemble d’accusations outrancières, injustes, généralisantes, véhiculées sur la vie, qui font faire l’économie, à ceux qui les produisent, d’une interrogation sur leur propre relation à la vie et leur degré de responsabilisation face à leur existence. Et ce faisant, ils font semblant de reprocher à la vie les maltraitances qu’ils lui infligent le plus souvent avec la plus parfaite mauvaise foi.
En confondant la vie et l’existence, ils oublient ainsi que la vie est un miracle permanent, elle se donne à chacun et surtout à ceux qui savent l’accueillir. Avec une immense générosité elle se dépose au profond de chaque cellule, de chaque particule, de la plus infime parcelle de cette terre où nous vivons. Elle offre le meilleur d’elle-même depuis des millénaires sans se décourager… du moins jusqu’à aujourd’hui !
Face à la vie, il nous appartient d’accepter de nous responsabiliser et de démystifier quelques-uns des alibis que nous nous donnons soit pour la maltraiter ou pour la violenter, soit pour la nier ou oublier de l’aimer et d’en prendre soin en nous. Les guerres dites modernes et tout leur arsenal technologique, le terrorisme de moins en moins aveugle, de plus en plus ciblé, de plus en plus efficace, les pollutions multiples, sournoises déposées au cœur même du noyau de la vie, les manipulations génétiques de plus en plus performantes, sont autant de coups mortels que nous infligeons à la vie avec une constante et une efficience de plus en plus terrifiante.
Nous avons avec la vie, nous les humains, une relation d’incompétence rare, une relation faite d’exploitation, d’asservissement, de manipulation et de destruction qui va s’amplifiant, sans que nous trouvions de limites à nos propres errances et excès.
Peut-être un jour la vie se révoltera-t-elle ?
Peut-être excédée de tant d’injustice et d’inconscience nous chassera-t-elle de… la VIE ?
Nous adorons des dieux sourds et aveugles, nous rendons grâce au hasard ou à la chance, nous nous passionnons avec l’illusion d’horoscopes en conserves, nous voulons croire à la magie d’un irrationnel de pacotille proposé en kit-prêt-à-utiliser pour tromper l’angoisse et le désarroi, nous achetons sur le marché de l’intimité l’écoute, l’attention, la bienveillance de spécialistes en thérapies de mieux être, nous fuyons plusieurs heures par jour dans des univers virtuels pour échapper au présent, et ainsi nous nous coupons de plus en plus d’un élan vital dont nous avons le plus grand besoin. Nous sommes passés en quelques décennies, de la vie à la survivance.
Si nous pouvions nous rassembler autour de quelques valeurs d’amour, de respect, de tolérance, d’harmonie, qui alimenteraient les forces nourricières pour permettre non seulement à la vie de survivre mais de s’agrandir, de se développer et de se répandre dans toutes les dimensions de notre existence.
Si nous pouvions nous réconcilier avec la petite parcelle de vie reçue en dépôt au moment de notre conception pour communiquer de vie à vie avec notre prochain (avant qu’il en devienne de plus en plus lointain), si nous acceptions de relationner de vie à vie avec chaque parcelle de notre univers proche !
Ainsi nous pourrions aider chacun à apprivoiser une nouvelle relation avec la vie qui est en lui, à garder espoir dans se ressources immenses, à ne plus confondre Vie et EXISTENCE en continuant de croire qu’elle est difficile, capricieuse ou injuste, mais en l’honorant comme la manifestation d’un miracle permanent et généreux.
Jacques Salomé est l’auteur de
“La ferveur de vivre”. (Ed Albin Michel).