Quarante ans, c’est la vieillesse de la jeunesse, mais cinquante ans, c’est la jeunesse de la vieillesse.
Victor Hugo
Être vieux, c’est sérieux.
Dans notre monde,
je parle de l’Occident, tout est nouveau,
Tout change; ce qui est jeune est bon,
le changement est nouveau,
La nouveauté est changeante…
Et qu’on soit humain ou grille-pain,
il n’est pas recommandé de vieillir.
Le monde est né d’hier,
Il commence aujourd’hui
Et renaîtra demain.
Nous parlons naturellement
de prévenir les marques du temps,
Anti-tache, anti-rouille,
Anti-ride, anti-vieillesse.
Sans Anti, pas d’espoir.
Viieux schnouk, vieux de la vieille,
Vieux machin, vieille chouette,
La mode est à tout sauf à l’ancien.
Si la vieillesse est un naufrage…..
alors je donne ma langue au chat.
La vie ne serait finalement
que ce grand voyage de l’absurde
Où nous traversons
Périls et océans,
Désert et continents
pour mieux glisser,
ridicules et impotents
sur la pente irréversible
de la fatalité.
Il est vrai que l’on meurt.
Il est encore plus vrai que nous nous amenuisons avec le temps rapport
au fonctionnement
et aux apparence de notre corps.
Mais ce serait bien un comble de laisser aux émotions faciles le soin de traiter
de la chose.
Et pourtant, la vieillesse en a frappé plus d’un depuis la jeunesse de l’espèce.
Des études récentes révèlent que
lorsque nous ne mourons pas,
nous vieillissons.
J’en connais, décédés un peu tôt, qui aurait tout donné pour vieillir en paix.
Toutefois sur le sujet du vieux,
je ne sais pas de sociétés
plus mal barrée que la nôtre.
Si nous ne sommes pas incompétents, alors nous sommes de mauvaise foi.
Nous faisons tout pour dramatiser la vieillesse,
Tout pour la rapetisser,
la rendre déplorable et la disqualifier.
Oui, il se cache du « petit » dans notre regard moderne sur le vieux.
Petits vieux, Petites vieilles
qui font des petits dodos,
des petits pipis,
Ils prennent des petites marches,
des petites pilules,
Ils reçoivent de la petites visite,
un petit-fils, une petite-fille,
Ils mangent comme des petits oiseaux
Et puis meurent comme des petits poulets.
La sensibilité de la durée n’existe tout simplement pas.
La valeur du temps s’annule depuis que,
dans notre esprit, tout ce qui dure perd des plumes.
Il pleurera à chaque ride,
Il maudira ses cheveux gris,
Il paniquera au premier mal de dos,
Au premier signe d’arthrite,
Celui pour qui la beauté se résume
tout entière au look de la jeunesse.
Nul ne sait plus assumer ses pertes
de mémoire et plus personne ne sait boiter.
Personne ne se vante de son grand âge, la durée n’en impose plus.
Nous ne préparons pas notre vieillissement.
Nous préparons notre retraite
comme on prépare ses vacances
mais nul n’envisage réellement
sa vieillesse.
Nous la nions plutôt,
Nous la craignons
Et nous renouvellons les mots
Pour cacher nos frayeurs :
Age d’or, troisième âge et autres inepties.
Comme si le mot vieillard était
déjà trop Vieux.
Je ne dis pas que vieillir est agréable.
Mais on meurt à tous les âges,
On est malade en été comme en hiver,
On déprime à n’importe quel moment
de sa vie,
Les crétins se retrouvent fréquemment
et partout dans la pyramide des âges
J’ai connu trop de vieux et de vieilles
Qui rebondissaient mieux que certains jeunes prématurémennt épuisés pour m’inquiéter sérieusement du temps qui passe.
Je crains la maladie,
Jecrains le gagaïsme,
Je crains le scandale de la souffrance
et de la perte. ….
Mais je ne crains pas mon âge
et tous les âges que j’atteindrai.
Je propose d’embrasser chacune des années qui me seront données.
Avec une canne en merisier
que je lèverai au ciel,
Je clamerai mon grand âge
sur tous les toits de la ville
et je serai le premier responsable
de ma fierté….Si Dieu me prête
l’amour et la santé.
Nous devrions respecter nos vieux
Parce qu’ils sont vieux, un point c’est tout.
Les vieux sont des pierres et des monuments,
des arbres tutélaires, des âmes sculptées par le temps.
Les vieux sont des témoins principaux.
Ils représentent le temps passé
et ce sont eux, l’histoire.
À quatre-vingts ans, ma mère est si belle qu’elle donne à tous les jours un nouveau sens à la notion de dignité.
J’espère ma vieillesse
comme j’ai espéré toute ma vie.
J’aurai la peau comme une écorce
très ancienne, profondément ridée.
Je serai honorable mais je serai armé.
À la pointe du fusil, je forcerai les jeunes à écouter mes platitudes et jongleries.
Et je tirerai un coup de semonce au premier qui me proposera une petite collation, un petit voyage en autobus, voire un petit n’importe quoi.
Tous les vieux devraient être armés…
Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… Et si maturité voulait…
René Bellaiche
Serge Bouchard, anthropologue
Autres textes de Serge Bouchard Serge Bouchard né le 27 juillet 1947 à Montréal, au Québec et mort le 11 mai 2021, est un anthropologue, essayiste et animateur de radio québécois.