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Il suffit parfois d’un rien : quand les idées noires nous travaillent

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Qu’elles portent sur soi, les autres, le monde ou l’avenir, les idées noires sont inévitables. Mais, quand elles commencent à tourner en rond dans nos têtes, elles viennent freiner nos élans et brider nos projets.

Il suffit parfois d’un rien, d’un enchaînement de petits événements déplaisants pour que notre regard sur nous-même, sur notre vie change radicalement. Une brimade au travail, un adolescent qui rapporte un mauvais bulletin, un dîner raté, une dispute conjugale et, tout à coup, nous sommes nul, personne ne nous aime, l’avenir est bouché, les enfants ne s’en sortiront jamais…

La vie se transforme en un parcours du combattant semé d’embûches, d’épreuves à traverser dans un environnement hostile. Inutile de préciser que, dans un contexte économique et social défavorable, cette propension à broyer du noir a toutes les chances de se déployer.

Difficile de dormir

« Les pensées négatives peuvent se manifester à deux niveaux, définit la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury. D’abord à l’égard de l’extérieur, et du monde en général : nous éprouvons des sentiments d’insécurité, d’abandon, de fragilité, de menace.

Nous avons l’impression que nous évoluons dans un univers dangereux, malveillant. Dans le meilleur des cas, nous estimons que nous devons faire preuve de vigilance ; dans le pire, nous nous sentons attaqués.

Ensuite, vis-à-vis de nous-même et de notre intériorité. La négativité se caractérise par l’auto-dépréciation : nous ne nous sentons pas à la hauteur de ce qui nous est demandé, nous avons l’impression que nous n’y parviendrons jamais. »

Entre 6 et 14 ans, Fanny, 33 ans, a eu de sérieux problèmes de sommeil. Toutes les nuits, des pensées obsédantes la taraudaient. « Je restais les yeux ouverts dans le noir, terrorisée à l’idée d’entendre à nouveau quelque chose que j’avais entendu enfant et dont j’avais tellement honte que je ne pouvais en parler à personne. »

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Ses parents ont tout essayé : les veilleuses, les stores occultants, l’insonorisation, les consultations chez des spécialistes du sommeil… Dans la journée, la petite fille s’endormait sur son pupitre en classe, sur les bancs de la cour de récréation.

La psychologue et psychanalyste Catherine Audibert se méfie du processus mental de rumination qui peut conduire à l’insomnie : « Les insomniaques sont souvent assaillis par des pensées nocturnes qu’ils sont incapables de verbaliser le lendemain. Ces pensées répétitives très négatives peuvent même finir par les mettre en danger.

Elles sont souvent en rapport avec un traumatisme, qui a créé une compulsion à la répétition, dans les actes, mais aussi dans la pensée. La rumination ne cesse pas par la volonté. Il faut en retrouver l’origine et le sens pour la désactiver. »

Un soir d’été, Fanny se souvient s’être assise sur les marches de l’escalier de la maison de vacances, à côté d’une tante qu’elle aimait bien. « Elle me caressait pensivement les cheveux. Je voyais bien que ça n’allait pas fort pour elle non plus. Je lui ai demandé si je pouvais exceptionnellement dormir avec elle ce soir-là. Elle m’a regardée gentiment : “Explique-moi pourquoi tu ne dors jamais, Fanny ?”

C’est sorti : “Parce que j’ai peur d’entendre papa et maman faire des trucs.” En même temps que je l’ai dit, j’ai éclaté de rire. Elle a eu un regard interloqué puis mon rire a été communicatif.

Mais, ce que j’ai aimé, ce qui m’a sauvée, je crois, c’est qu’elle ne s’est pas moquée de moi. Au contraire : elle m’a écoutée, a pris ce que je lui racontais tout à fait au sérieux et m’a expliqué que je n’étais pas folle du tout. » Le lendemain, Fanny est sortie à jamais de son « long collier des sommeils affreux » (La chanson du mal-aimé de Guillaume Appolinaire).

Trop d’anticipation

Ce qui pose problème avec la rumination, c’est quand elle nous bloque à un stade de la réflexion, quand elle cesse d’être une étape dans le processus de pensée, quand nous ne sommes plus capables de revenir sur ce qui a été prononcé et intériorisé pour l’affiner, le creuser, le dépasser et avancer.

Le psychanalyste Saverio Tomasella, auteur d’Oser s’aimer, développer la confiance en soi, explique que « la mentalisation prend trop d’espace et tourne en boucle. Il n’y a plus digestion, ce à quoi est censée préparer la rumination. Ce phénomène de ressassement touche plus particulièrement ceux qui ont besoin de se préparer pour mener à bien ce qu’ils redoutent de ne pas réussir à faire.

Mais leur anxiété est telle que, même quand ils ont trouvé la manière dont ils vont pouvoir affronter ce qui leur pose problème, ils continuent à se préparer ». La faute à qui ? Pourquoi certains sont-ils plus touchés que d’autres ? Ont-ils tous été victimes de traumatismes ?

Les causes peuvent être multiples, détaillent Catherine Audibert, Saverio Tomasella ou encore la philosophe et psychanalyste Nicole Prieur, qui pointent également l’éducation, l’environnement familial dans lequel nous avons grandi et le milieu professionnel. Selon Saverio Tomasella, « bien souvent, des parents austères et pessimistes élèvent des enfants qui le deviennent à leur tour.

Il en est de même pour l’angoisse, l’affolement, la peur de la maladie, etc. Au travail aussi, la répétition de paroles dépréciatives provoque peu à peu une forme de dépression ou de dévalorisation systématique, de même que la culture des mauvaises nouvelles produit un pessimisme général dans une entreprise ou une administration.

Et puis, un enfant sans cesse rabroué, moqué, dévalorisé aura très vite tendance à adopter cette attitude destructrice envers lui-même, envers les autres et la vie. Toute la question est de réussir à enrayer cette mécanique infernale et de redonner confiance en soi à des personnes qui en manquent souvent cruellement ».

La complainte de la nullité

Auto dévalorisation et ressassement font en effet malheureusement souvent très bon ménage.
J’suis un débris / J’suis un déchet / J’suis une insulte à l’harmonie d’la création, clame le poète Paolo Universo dans sa Ballade de l’ancien asile.

Sur le divan, la chanson de l’auto-dépréciation est l’une des mélodies les plus entonnées. Une complainte, avouent les psychanalystes et psychothérapeutes, qui la considèrent comme un véritable piège. Un jour, alors qu’un homme gémissait en répétant sans arrêt qu’il était nul, qu’il ne valait rien, Jacques Lacan lui assena : « Très bien. Vous n’êtes qu’une merde. La séance est finie. »

Pitié, soupire Cynthia Fleury, « le grand poème épique de la nullité est un discours mortifère qui signifie en fait : “Si ça ne marche pas, je n’en suis pas responsable. Ce n’est pas ma faute.” Cette parole fausse sert en fait à valider une impuissance ». Plainte qui justifie l’immobilisme, fait écran à notre peur de bouger.

C’est la victoire de la pulsion de mort, présente dans tout ce qui nous anéantit à bas bruit : « Elle éteint notre désir, notre sensibilité, freine nos élans, nous bride dans nos projets, nous fait nous replier sur nous-même », énumère Saverio Tomasella.

Une prise de conscience

À trop nourrir ce type de considérations inquiètes, ne nous faisons-nous pas inutilement du mal ? Pas forcément : « Toute pensée en mouvement génère du “contre”, reprend Cynthia Fleury. Quand on réfléchit à un sujet, il est logique de l’envisager sous un angle négatif.

L’un des grands philosophes à l’avoir révélé est Hegel, avec la dialectique en trois temps : thèse, antithèse puis synthèse. L’antithèse, autrement dit le “négatif”, est une étape obligée du chemin de la pensée. Sans elle, pas de synthèse possible ! »

Nos constructions négatives sont également le signe d’une prise de conscience et d’une prudence judicieuses. « Quand je n’ai rien qui m’inquiète, cela même m’inquiète », écrivait le philosophe allemand Arthur Schopenhauer. Nicole Prieur en est convaincue : « Ceux qui ont une tendance aux pensées négatives sont subtils, sensibles à l’ambiguïté, à l’ambivalence de la condition humaine.

Nous ne pouvons pas chercher à évincer complètement la part sombre qui nous anime. Les représentations négatives que nous nous faisons des choses sont le fruit d’une pensée, certes inquiète, mais souvent lucide : mesurer le risque des choses, voir la présence du mal quand d’autres s’aveuglent. »

Et foncent droit dans le mur en klaxonnant. Cynthia Fleury le confirme, le négatif peut permettre d’en finir avec les faux-semblants et conduire à un « moment de vérité au cours duquel, tout à coup, la parole se libère, premier pas vers une transformation interne, une progression, une évolution ». Cela peut signifier que nous sommes capables d’affronter la vérité dans sa crudité. Ce qui ne rend pas forcément plus heureux, mais nous permet d’avancer, d’évoluer, parfois de créer.

Pendant des années, Marie, 43 ans, a préféré ne rien voir du naufrage de son mariage, se contentant de s’interroger sur elle : « Je me rongeais les sangs, j’avais l’impression d’être obsédée par mon travail, de fuir mon époux et de ne pas parvenir à le satisfaire.

Lui passait son temps à me reprocher de ne pas être assez présente, de ne pas l’aimer. Je me sentais mal sans savoir vraiment pourquoi. Je faisais des cauchemars la nuit, dont j’étais incapable de me souvenir le lendemain matin. » Et puis, un jour, la jeune femme a découvert la double vie de son si parfait époux. « Je suis partie très en colère contre moi-même, mais, bizarrement, soulagée et libérée. »

Une « belle » tristesse

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Frédéric Pajak a perdu son père à l’âge de 9 ans. Une mort qu’il « essaie toujours de comprendre », explique- t-il. Il rêve, dessine, écrit à partir de ce deuil, sublime son manque dans des textes graphiques, sombres et magiques. « Comme tous ceux qui ont perdu un proche, je passe mon temps à y penser, confie l’écrivain.

Sans le vouloir d’ailleurs, cela ne relève pas de la volonté. Les sentiments sont les héros de mes livres. J’éprouve une sensation de fatalité devant le temps qui passe, la sensation que quelque chose m’échappe. Il existe une forme de beauté dans la tristesse que nous transportons.

Regardez le succès d’Edward Hopper, comment nous aimons plonger nos yeux dans les tableaux magnifiques de cet homme, qui a su retranscrire des sensations où pourtant aucune gaieté, aucun espoir n’affleure. Nous aimons nous confronter à notre part sombre. Sans forcément la “pathologiser”, la considérer comme malade. »

Des créateurs comme Frédéric Pajak ou Lionel Duroy réussissent à faire de leur négativité, de leurs douleurs profondes une force créatrice tournée vers l’extérieur. Ils parviennent à l’exprimer en utilisant leur propre langage, l’écriture ou le dessin, « l’aspect intellectuel de l’une, sensoriel de l’autre », sourit Pajak.

Et puis, il y a les autres, ceux, majoritaires, qui n’ont pas cette capacité de sublimer dans l’art, mais parviennent tout de même à évacuer les tensions issues de leurs pensées négatives dans des pratiques beaucoup plus prosaïques : « Quand je sens que les petites phrases destructrices commencent à tourner dans ma tête, que le petit vélo intérieur menace de se mettre en marche, j’attrape un balai et je hurle sur des chansons de Claude François en faisant le ménage. C’est ridicule et très efficace », confie Laura, 38 ans. David, 47 ans, enchaîne postures de yoga et méditation de pleine conscience pour s’oxygéner, se recentrer et s’élever.

Mais que se passe-t-il quand rien n’y fait, quand le négatif reste coincé, bloqué, refoulé au plus profond de nous-même ? « Le risque est de se noyer dans l’impuissance de la rumination », répond justement Frédéric Pajak. Est-ce bien la peine de mobiliser son énergie psychique dans ce sens ? Et si nous cherchions plutôt à quitter ces spirales infernales afin que, comme le dit Héraclite, « l’opposé coopère » et nous libère de ses entraves défaitistes ?

L’avis de Guy Corneau

« Un sentiment de dévalorisation s’est installé en France »

Guy Corneau, le célèbre psychanalyste Québécois, pose son regard de psychanalyste jungien sur une certaine détresse nationale.

« La France souffre d’un sentimentalisme excessif. Votre peuple verse trop dans la mélancolie, la nostalgie. Vous êtes romantiques, beaucoup plus attachés aux valeurs qu’aux idées. C’est d’ailleurs pour cette raison que vous avez tant de mal à vous entendre avec les Allemands, peuple de penseurs orienté vers l’action.

Ils ne font pas de sentiments, contrairement à vous qui, face à la crise, préférez rêver, vous réfugier dans les souvenirs de vos privilèges, de votre splendeur déchue, plutôt que bouger vraiment. Vous ouvrez trop la porte vers le passé. Un sentiment profond de dévalorisation s’est installé.

Chacun surveille ce que l’autre fait, essaie de préserver ses petits pouvoirs. Vous croulez sous les comparaisons, les critiques vis-à-vis de vous-mêmes et des voisins. La frustration règne. Mais la morosité ambiante va obliger chacun à se prendre en main, à choisir son état intérieur, à décider de sa propre sérénité sans se laisser ballotter par les événements nationaux.

L’heure est peut-être venue d’injecter un peu de rationalité germanique à votre susceptibilité et à votre sensibilité. Il ne faut plus qu’il n’y ait personne dans la maison, si je puis dire. Votre énergie pourrait se réorienter, quitter le gouffre du spleen pour être source de changement. Le déclin de la France est une chance pour ses citoyens, une chance d’en finir avec ses tentations défaitistes. »

Hélène Fresnel

Source Il suffit parfois d’un rien : quand les idées noires nous travaillent : tarotpsychologique.wordpress.com

Publié par Clément Artois

Clément a toujours été très empathique et possède de grandes capacités d'écoute, lorsque les gens ont besoin de conseils dans leurs relations, c'est toujours vers lui qu'ils se tournent.

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