Image crédit : Pixabay
La beauté est partoutpar Jacques Salomé
Quand je dis à mes enfants dans un élan d’enthousiasme « prenez du temps, regardez autour de vous, utilisez tous vos sens, laissez s’approcher de vous le beau qui vous entoure, ne le laissez pas se perdre ou se blesser, protégez-le dans ses plus petites manifestations… La beauté est partout dans le monde, sur toute chose, dans chaque personne… »
Ils me regardent en souriant gentiment comme si j’énonçais un vœu pieux, ou alors ils se récrient, se scandalisent. Ils me disent que je suis aveugle, sourd, que je ne vois pas toute la misère, les malheurs, les laideurs qui m’entourent, que je n’entends pas les misères, les souffrances, les violences qui se vivent.
Que, même si la beauté est en survie dans le monde d’aujourd’hui, il y a quand même d’autres priorités !
Je maintiens ma position, la beauté est partout. Parfois minuscule ou infime, éphémère et fugitive, mais toujours présente dans les clins d’œil de la vie, les interstices du temps, les plis secrets de l’espace. Quelle est la source, l’origine de la beauté ? Est-ce dans la bienveillance d’un Etre Suprême ou celle des rencontres du hasard ? Est -ce dans le génie de l’artiste qui a su créer une œuvre ? Est-ce dans l’harmonie d’un objet, l’équilibre d’un moment, ou est-ce dans le regard qui sait capter l’harmonie, l’équilibre, la vérité d’un instant, d’un être, d’un objet ?
La source de la beauté, ai-je tendance à penser, est dans la disponibilité, l’ouverture, l’accueil à recevoir les cadeaux de la vie. C’est par mon regard que je crée et que je garde en vie, même si ce n’est que quelques secondes les particules de beauté, poussières de lumière déposées sur toute chose.
La beauté a besoin pour éclore, pour se dégager des scories ou des oripeaux qui la cachent de la tendresse, de la générosité de notre regard et de l’appel de notre cœur.
Je ne sais si ma mère était belle, ce que je sais c’est que je la voyais belle, très belle, lumineuse. Ma mère ne savait pas rire, « je n’ai pas le temps », disait elle. Mais elle savait sourire et j’ai tenté de capter, de préserver l’un ou l’autre de ses sourires sur des photos. J’en ai une devant moi, elle avait déjà près de 70 ans, elle avait quitté le tablier qu’elle mettait pour faire le ménage, mais avait voulu garder ses lunettes « pour mieux me voir la photographiant ! » Elle sourit. Elle sourit de toute sa bonté, les mains sagement croisées sur son ventre.
Heureuse de me faire plaisir, heureuse d’être heureuse de répondre à une de mes demandes. Elle me reprochait souvent de « ne pas lui faire assez de demandes ! » à elle qui avait tant à donner. Elle est belle, présente de toute sa beauté de vieille dame paisible, ayant réussi à traverser près de trois quarts d’un siècle redoutable, parsemé de violences et de guerres. Elle est morte quelques années plus tard, mais je garde d’elle ses sourires, la lumière de son regard, le ruisseau bleu d’une veine qui barrait son front et battait doucement quand elle était émue. Là où un autre aurait vu une dame insignifiante, fatiguée, vêtue d’une robe sans grâce, je voyais une reine splendide, couronnée de neige.
Il faut aussi parfois débusquer la beauté des pudeurs dont elle s’entoure et ne pas lui faire violence par un dévoilement trop brusque, trop brutal.
Il m’a fallu du temps pour naître à la beauté. J’ai eu pendant longtemps un regard de consommateur, doublé d’un prédateur, je veux dire par là que je survolais les choses sans les voir réellement, que je ne m’attardais sur certaines, uniquement en fonction de leur intérêt immédiat pour mes projets ou l’action dans laquelle j’étais engagé. Je ne savais pas voir.
Depuis j’ai un peu appris, un tout petit peu.
La beauté est partout source :/www.j-salome.com/
Jacques Salomé est l’auteur de cliquez sur l’mage pour voir ses livres: