Religion, laïcité : quelle place pour les athées dans le débat actuel ?
Depuis les attaques qui ont endeuillé la France début janvier, les questions religieuses et le débat sur la laïcité occupent le devant de la scène. Comment se positionner quand on est athée ? Francetv info a interrogé le philosophe André Comte-Sponville.
Liberté d’expression, droit au blasphème et respect des croyances… Les attaques terroristes et les cas de perturbations de la minute de silence dans les établissements scolaires par des élèves ont soulevé beaucoup de questions sur la laïcité. Elles ont ravivé les débats autour de la place de la religion dans la société française.
Mais dans un pays qui compte près de 30% d’incroyants, comment se positionner quand on est athée ? Et comment vivre son athéisme ? Reste-t-il une place pour la spiritualité quand on ne croit pas en Dieu ? Francetv info a interrogé le philosophe André Comte-Sponville, auteur de L’Esprit de l’athéisme (éd. Albin Michel, 2006) et Du tragique au matérialisme (et retour) (éd. PUF, 2015).
Francetv info : « Quand on est athée, on a aussi des convictions », a rappelé le dessinateur Riss, blessé lors de l’attaque contre Charlie Hebdo. Etre athée n’est pas seulement la négation de Dieu, c’est donc aussi l’affirmation de convictions ?
André Comte-Sponville : Bien sûr. L’athéisme, c’est avant tout être convaincu que Dieu n’existe pas, mais les athées ont d’autres convictions que leur seul athéisme.
L’athéisme n’est ni une philosophie, ni une religion. Certains sont humanistes. D’autres non. Certains sont de droite, d’autres de gauche… Ils n’ont, par principe, pas à être d’accord entre eux sur des convictions positives. Alors que les chrétiens sont d’accord sur les dogmes du christianisme et les musulmans sur les grandes bases de l’islam, la seule chose qui unisse les athées, c’est cette conviction purement négative de ne croire en aucun Dieu.
La question de la laïcité est devenue centrale dans le débat après les attentats. La notion d’athéisme rejoint-elle celle de laïcité ?
L’athéisme et la laïcité sont deux choses totalement différentes. C’est justement parce que la République française est laïque qu’elle n’est pas athée. La laïcité est un type d’organisation de la cité, de la société. Elle interdit à l’Etat de prendre position en matière religieuse.
Un état est laïque quand l’Etat et les Eglises sont séparés, que l’Etat ne prétend pas régenter les Eglises et que les Eglises ne prétendent pas gouverner l’Etat. Un Etat laïque garantit le droit d’avoir la religion que l’on veut, le droit de n’avoir aucune religion ou de changer de religion.
Pour tenter de lutter contre les amalgames, promouvoir à nouveau la laïcité, et surtout contrer les réactions hostiles aux hommages, constatées dans de nombreux établissements scolaires, le gouvernement a annoncé qu’il allait instaurer des enseignements moraux et laïcs. Pensez-vous que cela peut permettre de lutter contre les communautarismes ?
Apprenons déjà aux enfants à lire et à écrire correctement. Il est plus important qu’un élève du lycée arrive à lire Pascal, Spinoza, Montaigne ou Descartes, plutôt qu’il reçoive des cours sur le fait religieux ou la morale laïque. L’école est là pour transmettre, pour donner accès à la culture. Le problème, c’est qu’elle y arrive de moins en moins. Mieux vaut faire de la philosophie que compter sur deux heures de cours mal bricolés de morale ou de fait religieux. Ce n’est pas un cours de morale laïque qui remplacera la lecture des chefs-d’œuvre passés. Il faut donner aux enfants une formation intellectuelle, de telle sorte qu’ils puissent former leur propre jugement. La morale n’est pas de l’ordre du savoir, elle ne s’apprend pas comme l’on apprend combien font deux plus deux.
Ceux qui pensent qu’il suffit d’ajouter quelques heures d’éducation morale ou civique pour faire reculer les tentations communautaristes dans notre pays se racontent des histoires. Arrêtons de demander perpétuellement à l’école de régler les problèmes de la société.
Pensez-vous, comme l’a dit Michel Houellebecq, qu’avec le retour du religieux, la laïcité et l’athéisme sont morts en France ?
Michel Houellebecq a tort de penser qu’il y a un retour massif du religieux et que c’est la fin de la laïcité. Il perçoit un processus de retour à la spiritualité, mais l’analyse mal. Ce que l’on appelle le retour du religieux est en réalité un retour à une spiritualité plus revendiquée, plus affirmée voire parfois plus spectaculaire, comme c’est le cas pour certains mouvements islamistes radicaux. Mais l’intégrisme catholique n’est pas en reste. Nous avons pu le constater lors des manifestations contre le mariage pour tous, où certains groupes catholiques réactionnaires ont retrouvé un peu de visibilité.
Arrêtons de faire comme si l’athéisme était menacé. Ce n’est pas vrai. Il suffit de se rendre dans une église catholique un dimanche matin pour constater qu’elle est aux trois quarts vide et que la moyenne d’âge est de 70 ans. En ce qui concerne les musulmans, leur nombre progresse, effectivement. Mais c’est essentiellement du fait de l’immigration et de la démographie et non pas des conversions.
En revanche, contrairement à ce que l’on pense, l’athéisme ne cesse de se développer partout dans le monde. Aux Etats-Unis, où il était encore extrêmement minoritaire il y a quelques années, la parole des athées s’est largement libérée. En quinze ans, leur nombre a été multiplié par quatre.
Comment peut-on se positionner en tant qu’athée dans une société où les débats autour de la religion sont omniprésents ?
C’est une raison de plus pour se battre et affirmer nos convictions d’athées. Les événements montrent que le débat porte moins sur la religion que sur la question de la liberté d’expression et du fanatisme. Il faut combattre le fanatisme, combattre ces gens qui veulent imposer par la violence quelque chose qui n’est finalement qu’une opinion.
« C’est mettre ses conjectures à bien haut prix, que d’en faire cuire un homme tout vif », disait déjà Montaigne au XVIe siècle. A l’époque personne ne savait, non plus, ce qu’il en était du vrai Dieu, mais les hérétiques étaient brûlés au nom de « conjectures », c’est-à-dire au nom d’opinions parfaitement incertaines. Ce qui valait du temps de Montaigne contre l’Inquisition catholique vaut aujourd’hui contre le fanatisme islamiste. Nous devons nous mobiliser contre tous les fanatismes, contre tous ceux qui prétendent limiter notre liberté de ne pas croire, d’exprimer notre incroyance, voire de blasphémer. Le débat n’est pas l’existence ou non de Dieu. Le débat, c’est la liberté contre le fanatisme.
Beaucoup considèrent que la religion répond à leur besoin de spiritualité. Existe-t-il une place pour la spiritualité lorsque l’on est athée ?
Oui, il existe une spiritualité sans Dieu. La spiritualité, c’est la vie de l’esprit. Les athées n’ont pas moins d’esprit que les autres et s’intéressent tout autant à la vie spirituelle. Nous sommes tellement habitués depuis vingt siècles d’Occident chrétien à ce que la seule spiritualité socialement disponible soit une religion, que l’on a fini par croire que ces deux mots, religion et spiritualité, sont synonymes, et que de parler d’une spiritualité sans Dieu est contradictoire dans les termes. C’est faux.
La religion est une certaine espèce de spiritualité, mais il y a d’autres spiritualités non religieuses. Il suffit de regarder du côté de la Grèce antique avec le stoïcisme ou l’épicurisme, ou du côté de l’Orient, du bouddhisme, du taoïsme ou duconfucianisme pour découvrir qu’il a existé et qu’il existe encore d’immenses spiritualités qui ne sont en rien des religions ou des croyances en Dieu.
Devient-on athée seulement par rejet de la religion ?
On devient athée lorsque l’on trouve que les arguments allant dans le sens de l’athéisme sont plus forts que les arguments allant dans le sens du théisme. J’étais moi-même un chrétien sincère, fervent et pratiquant, jusqu’à l’âge de 17 ans, puis j’ai perdu la foi.
Je me définis comme un athée non dogmatique, et fidèle. Athée parce que je ne crois en aucun dieu. Athée non dogmatique parce que je reconnais que mon athéisme n’est pas un savoir, c’est une croyance, une conviction, une opinion. En réalité, personne ne sait si Dieu existe ou non, et c’est justement parce que nous ne savons pas que la question se pose d’y croire ou non. Si vous rencontrez quelqu’un qui vous dit « je sais que Dieu n’existe pas », ce n’est pas un athée, c’est un imbécile. De la même façon, celui qui vous dit « je sais que Dieu existe » est un imbécile qui a la foi.
Enfin, je me revendique comme athée fidèle, parce que je reste attaché à une série de valeurs morales, culturelles et spirituelles qui sont nées pour la plupart dans les trois grandes religions monothéistes et qui se sont transmises pendant des siècles par la religion. Rien ne prouve que ces valeurs humaines aient besoin d’un dieu pour subsister, mais tout prouve que nous avons besoin de ces valeurs pour subsister d’une façon qui nous paraisse humainement acceptable. Ce n’est pas parce que je suis athée que je vais renier 3 000 ans de civilisation judéo-chrétienne ou refuser de voir la grandeur du message humain des évangiles.
Croire en Dieu apparaît rassurant sur de nombreuses questions, telles que la mort ou le sens de la vie. Est-ce difficile d’être athée ?
Dans un premier temps, il peut sembler que oui. La vie apparaît plus facile si nous pensons qu’un dieu d’amour veille sur nous, que nous irons tous au paradis et que nous retrouverons les êtres chers qu’on a perdus. L’athéisme amène effectivement à affronter le tragique, à la prise en compte inconsolée de ce qu’il y a d’effrayant, de décevant et de désespérant dans la condition humaine.
Mais ce n’est pas une raison pour cesser d’aimer la vie. Au contraire, c’est parce que la vie aura une fin, et que c’est la seule vie qui nous soit donnée, qu’il importe de la vivre le plus intensément et le plus joyeusement possible. Camus disait : « On ne peut penser l’absurde (ou le tragique) sans rêver d’écrire un traité du bonheur. »
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