Il y a ceux qui cherchent le bonheur absolu, le grand bonheur qui bouleverse leur vie et puis tous ceux, dont je suis, qui ont appris à apprivoiser les petits bonheurs de l’existence.
Ces petits bonheurs que j’essaie d’accueillir quand ils me croisent discrètement, dont je ne me lasse pas d’évoquer le souvenir en moi, tellement ils m’ont rempli de joie et de plaisir.
Certains sont tout petits, quelquefois même si minuscules qu’une attention trop distraite les fait se perdre à jamais. Je découvre un peu ému, qu’ils sont tous précieux et j’aurais envie de dire, indispensables à l’équilibre de ma vie.
Cette perle de rosée qui s’attarde sur la vitre de ma chambre et qui scintille tel un diamant dans les premiers rayons du soleil, m’annonce un matin que le printemps ne va pas tarder.
Cette vapeur nacrée qui enveloppe telle une dentelle céleste les bords de la nuit quand le jour hésite encore à se manifester me transporte hors du temps, et me laisse croire un instant que je suis immortel.
Petit bonheur que ce bouquet de violettes qui poursuit sa pousse, tout au bord du chemin, blotti sous les feuilles brûlées par les derniers gels. Et tous ces plants qui, pourtant laissés sans protection à la rigueur de l’hiver, se redressent, promesses de fleurs, offertes à mon anticipation impatiente. Petit bonheur que le premier chant d’oiseau, dans la nuit sombre et froide. Il est à peine quatre heure trente du matin et dans le silence de la campagne endormie, un chant s’élève au loin. Me revient une comptine de mon enfance.
Ma mère affirmait que le rossignol était de retour, chaque fois qu’elle entendait les premières notes du chant de son oiseau préféré scander sans une seule erreur : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ! Oui, oui me disait-elle cela fait douze pieds comme dans les fables de La Fontaine, enfin pas toutes ! ». Ce matin je compte sur mes doigts, il y a bien douze pieds ! C’est bien lui ! Et un sourire de plaisir m’envahit, celui du bonheur retrouvé de mes croyances d’enfant, quand chaque certitude s’accompagnait d’une confirmation de ma mère, énoncée comme une évidence éternelle. « Quand on sait ce qu’on veut, on ne perd pas de temps à trouver ce dont on n’a pas besoin ! » « C’est comme cela qu’on va loin » ajoutait-elle toute songeuse.
Ma chatte, malgré tous les interdits, est nichée au creux de mes reins. Sa présence tiède appelle ma main sur son pelage soyeux. De ses deux pattes, elle enserre mon bras. On dirait qu’elle me tient. Elle me lèche doucement, deux ou trois fois, c’est sa caresse à elle. Je la sens vibrer. Elle ne sait pas ronronner, elle vibre seulement. Pas de bruit, un murmure intérieur, subtil qui emplit ma paume.
Elle est heureuse d’être tout contre moi. Elle le dit à sa façon, c’est doux, c’est tendre, c’est bon. Et je peux même entendre, venant du fin fond de son enfance, une expression de ma fille cadette, quand elle disait « c’est bon, c’est encore ! ». Ce qui voulait dire : c’est tellement bon que cela ne doit pas finir ! De tels moments savent accompagner la nostalgie que je porte en moi, celle qui s’attache à tous les êtres chers, perdus, éloignés, disparus ou que je n’ai su garder proches.
Un autre instant doux, quand me revient en mémoire l’émotion d’une fin de vie, quand surgit l’éminence du départ ultime. Ce jour où j’ai su dire à cet ami, considéré en phase terminale, tout contre son oreille « tu as le droit de mourir tu sais, tu as le droit de nous quitter, d’aller vers cet ailleurs qui attend chacun d’entre nous… ». Il a souri, a rapproché d’un geste très doux ma tête contre la sienne et a murmuré tout contre ma joue : « je suis content que tu sois venu, jusqu’à la fin tu auras été fidèle à toi-même, exigent avec toi, exigent avec tes amis… » J’aurais pu lui retourner cette parole, qui s’accordait si bien à ce que fut sa vie, à la façon dont il l’avait conduite, dont il se respecta.
Pendant que j’écris ce souvenir qui m’émeut, un petit roitelet, avec sa houppette dentelée est venu se poser sur le tremble-bonzaï de ma terrasse. Et sa présence, d’une intensité étonnante, a transformé soudain l’échelle de ma vision. Mon fidèle bonsaï, qui m’accompagne depuis quelques années dans mes écritures a parfois des états d’âme. Oui, oui il est si sensible à mes sautes d’humeur qu’il en perd parfois, pour me punir, toutes ses feuilles ce qui me rempli d’inquiétude pour sa santé. A l’instant il est devenu soudain tout petit à mes yeux. À moins que l’oiseau minuscule posé sur sa cîme ne se soit mué en géant des airs. Je l’ai observé un moment sans bouger, laissant ma tasse de thé tiédir au creux de ma main. Ce roitelet matinal est superbe de vitalité. Son envol a créé soudain un vide. L’arbre nain a retrouvé sa taille normale, une goutte de résine ambrée brille de mille éclats au bout d’une branche, avant de glisser lentement sur la mousse du tronc. J’ai songé soudain à la présence de mes proches, dont la proximité réveille en moi l’envie de donner le meilleur de ce que je suis, dont les stimulations sont des appels à me dépasser, à transformer les gestes du quotidien en actes d’amour.
Au cours de la journée, certains bonheurs arrivent même par la poste ! Des dessins, des textes, des attentions gratuites, bienveillantes qui nourrissent ma relation avec tant d’inconnus. Je dépose quelques cartes, j’expose quelques textes avec lesquels je me sens en résonance sur un coin de fenêtre, pour accompagner la création du jour. J’aime ces signes de vie gratuits qui agrandissent la mienne.
Des petits et grands bonheurs, je peux en trouver partout, même dans l’énorme sac-poubelle que je m’apprêtais à fermer, quand, pour rechercher une adresse que je croyais avoir déchirée, je l’ai vidé sur le tapis de mon bureau et découvert avec stupéfaction un bracelet de vieil argent. Cadeau d’anniversaire que j’avais fait pour les dix ans éblouis de ma fille, qui en a aujourd’hui trente et qui, au téléphone la semaine dernière, se désolait d’avoir égaré son bracelet lors de son dernier passage chez moi. Comment le bracelet a-t-il atterri dans le sac poubelle, cela est un des nombreux mystères qui jalonnent sa vie et le mienne, dont j’accueille chaque fois la présence et la malice avec émerveillement.
Et tous ces bonheurs intimes, qui naviguent dans un espace personnel, ciselé à leur mesure, inaccessibles et étrangers à tous ceux qui ne sont pas là pour les recevoir et que je garde en moi, dépôt de fidélité à l’offrande des retrouvailles. Bonheur aussi de ne plus me laisser blesser par le ressentiment, la rancœur, la colère, la rage qui autrefois me polluaient des semaines entières…
Petit bonheur encore que de m’éveiller un matin de novembre, avec trop de vague à l’âme en songeant à tous ces jours de grisailles qui vont occuper les semaines à venir. Dois-je vous dire que je déteste novembre : jours de plus en plus courts, ciel bas, horizon fermé, morosité ambiante, attente trop longue de l’hiver (plus stimulant)… Et soudain penser que la cheminée va ronfler ce soir, que je vais tenter quand même, ce soir ou demain, d’accrocher mes yeux à une étoile et de me convaincre que novembre, quand même, c’est la saison des spectacles, des conférences, des soirées musicales, que je vais m’emplir le cœur de quelques unes de ces soirées qui font danser les neurones et que dans quelques semaines, quelques semaines seulement, les jours vont commencer imperceptiblement à s’allonger avec au bout le printemps. Au fond novembre c’est l’amorce du printemps !
Les petits bonheurs déposés dans l’imprévisible d’un instant ne se cultivent pas et ne peuvent se mettre en conserve, car ils sont fragiles et périssables, tout au plus peuvent-ils s’engranger dans les strates secrètes de la confiance que j’ai en la vie. Il nous appartient de les cueillir ou simplement les accueillir car j’ai remarqué combien ils sont timides et effrayés par trop de volontarisme, de contrôle et d’entêtement. Il me souvient alors qu’une de mes filles me demandait à 7 ans « mais comment un miracle arrive-t-il ? » et que je lui ai répondu « en sachant l’accueillir, oui l’accueillir avec tes yeux, avec ton imaginaire, avec ta présence au présent ». Tout dernièrement je l’entendais chuchoter dans l’oreille de sa fille « tu sais la vie est pleine de miracles, il suffit de les accueillir… ». Petit bonheur cadeau.
Travail sur soi et recherche spirituelle source :/www.j-salome.com/
Merci, Jacques Salomé pour ce petit ecrit charmant et bonne fin d’année, bonne nouvelle année 2018. Prenez bien soin de vous et de tous les êtres qui font parti de votre vie et qui vous emerveilles par leur tendresse, leur amour inconditionnel et leur savoir vivre.